Pendant le congé des Fêtes, nombreux sont ceux qui auront des décisions difficiles à prendre au sujet d’un parent ou d’un ami. Ils se retrouveront à naviguer dans les méandres des services sociaux et de santé, tout en ayant à composer avec un deuil imminent et leur propre chagrin. C’est un lourd fardeau à porter, une source de stress énorme.

Ces événements se dérouleront pour une bonne partie dans un centre de soins de longue durée, où meurent chaque année près d’un tiers des résidents. Pour compliquer les choses, il arrive souvent que la personne directement concernée n’ait plus la capacité d’exprimer ses choix. Ses proches s’efforcent alors de prendre les meilleures décisions possible, malgré la pression et le sentiment de culpabilité qu’ils ressentent.

Nous n’aimons pas parler du vieillissement et de la mort dans notre société; nous nous accrochons à l’idée que la longévité est toujours préférable à la qualité de vie. Les progrès réalisés en matière de technologie et de traitement ont largement nourri cette conception des choses.

La question se pose donc : à partir de quand doit-on renoncer à intervenir et passer aux soins dits de « confort »? À quel moment le personnel médical devrait-il s’employer à donner des soins de fin de vie plutôt qu’à prolonger indéfiniment la vie du patient? Et que faire pour atténuer le stress et le sentiment de culpabilité?

La meilleure chose à faire est d’avoir une discussion sur les volontés de fin de vie dès qu’il nous est possible de le faire.

Dans le cadre de notre projet de recherche en cours nous avons interrogé des personnes qui résident dans des centres de soins de longue durée, leurs proches ainsi que des membres du personnel, entre autres des préposés aux services de soutien à la personne, des infirmières, des travailleurs sociaux, des aides-diététistes et des ludothérapeutes.

D’après ce que nous avons constaté, même les Canadiens âgés les plus fragilisés résidant en centre de soins de longue durée ont beaucoup de mal à parler avec les membres de leur entourage de leurs volontés et de leurs préférences à l’égard des soins à recevoir en fin de vie.

Nos entrevues révèlent également que les personnes qui déménagent dans un établissement de soins de longue durée ont souvent l’impression de perdre leur droit à la parole et leur pouvoir de décision. Elles s’attendent à ce que leurs proches prennent les décisions importantes en leur nom.

Fait intéressant à souligner, les familles elles-mêmes s’attendent à ce que ce soit les médecins qui prennent ces décisions sur la base de leurs échanges avec le patient. Or les prestataires de services sociaux et de santé rapportent ne pas savoir, bien souvent, quel genre de discussion ils sont « autorisés » à avoir avec les patients et leurs proches. Dans le secteur des soins de longue durée en particulier, cette incertitude empêche la tenue en temps opportun d’une discussion franche sur les préférences en matière de soins futurs.

Nos recherches montrent que les résidents craignent souvent d’aborder le sujet avec leurs proches parce qu’ils ont peur de les accabler ou de les déprimer, ou ne savent pas trop comment s’y prendre. « J’aimerais en parler, mais je ne pense pas que ma famille est prête » ou « Je ne sais même pas de quoi il faudrait parler » sont deux commentaires qui reviennent fréquemment.

Pour leur part, les familles aimeraient tout connaître sur la question, sans toutefois savoir si leur parent est disposé à en parler.

Selon nos observations, cette discussion entre bénéficiaire de soins de longue durée et mandataire devrait se tenir le plus tôt possible, préférablement avant son admission dans un établissement. En discutant de ses volontés et de ses préférences à l’avance, tandis qu’on a du temps et que la pression est moindre, on peut épargner à un être cher bien des inquiétudes et des maux de tête face à des décisions difficiles.

Dans cette perspective, nous avons collaboré avec des familles à l’élaboration de stratégies visant à encourager une discussion préalable sur les soins de fin de vie. Nous avons également préparé des guides et des dépliants pour faciliter les échanges au sein de la famille. Et le résultat est loin d’être déprimant.

En fait, la majorité des personnes qui tiennent cette discussion rapportent un sentiment de soulagement, car elle leur permet de découvrir ce qui revêt de l’importance aux yeux de leur proche sur les questions entourant la vie et la mort. Les sujets abordés sont très variés, allant des musiques favorites jusqu’à la planification financière, en passant par l’endroit où la personne concernée désire vivre ses derniers jours.

« Je n’aurai plus à tenter de deviner quelles sont ses volontés » est une réaction courante chez les membres de la famille. La plupart nous disent qu’ils auraient aimé en discuter bien avant.

Enfin, nos recherches confirment que ces discussions sont extrêmement utiles et rassurantes pour les prestataires de services, car elle leur sert de guide dans le but d’assurer « une bonne vie et une bonne mort » pour les résidents et les membres de la famille qu’ils finissent par très bien connaître.

Il est temps de briser nos silences embarrassés et de lancer la conversation sur le sujet. Profitons de nos rencontres en famille durant le congé des Fêtes pour le faire, car ce pourrait être le cadeau le plus précieux qu’il nous sera donné d’offrir.

Sharon Kaasalainen est professeure associée à l’École des sciences infirmières de l’Université McMaster, membre associée du département de médecine familiale du même établissement et experte-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca.

Tamara Sussman est professeure associée à l’École de service social de l’Université McGill.