Le Canada emboîte enfin le pas à d’autres pays développés avec le lancement de sa première Stratégie nationale sur le logement, cette semaine. Alors que cette avancée historique représente ce que de nombreux militants demandent depuis des décennies, pouvons-nous vraiment nous réjouir?

Les 40 milliards de dollars promis sur une période de dix ans permettront-ils de pallier l’absence du fédéral pendant près d’un quart de siècle en matière de logement social? La stratégie nationale permettra-t-elle de combler les besoins actuels en logements abordables de plus d’un demi-million de Canadiens?

Depuis les années 1990, l’intervention du gouvernement fédéral dans le domaine du logement s’est traduite par une approche fragmentaire dans les secteurs de l’itinérance ou du logement abordable. On a vu des résultats positifs avec la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance en donnant aux collectivités des ressources pour s’attaquer aux problèmes locaux. Cependant, le bilan global du Canada en matière de réduction de la pauvreté et de l’itinérance et du logement abordable (tant subventionné que l’offre du marché) a été tourné en dérision par la communauté internationale. Et le problème continue de croître.

La Stratégie nationale sur le logement pourra peut-être enfin aider à rectifier cette situation. Encore faut-il la mettre en œuvre correctement.

Au Canada, chaque nuit, 30 000 personnes n’ont pas de toit et 3,1 millions de Canadiens vivent avec un faible revenu. De plus, l’incidence de la pauvreté infantile demeure prédominante, le Manitoba arrivant en tête de liste avec 27,5 % des enfants en situation de pauvreté, comparativement à 17,4 % à l’échelle nationale.

De plus en plus, on se rend compte à quel point l’inégalité des revenus pénalise la classe moyenne au Canada en érodant les revenus et en créant une situation critique au chapitre du logement abordable, particulièrement pour les travailleurs à faible revenu.

On estime que 1,7 million de ménages ont des besoins impérieux en matière de logement et consacrent d’importantes ressources aux coûts de l’habitation (la majorité étant des locataires à faible revenu). Il n’est pas surprenant que plus de la moitié des ménages ayant des besoins criants résident en Ontario et en Colombie-Britannique où les prix des logements demeurent stratosphériques et où, depuis les dix dernières années, il est devenu impensable de devenir propriétaire.

Or, comment la nouvelle stratégie nationale sur le logement peut-elle aider à améliorer la situation?

Les 40 milliards de dollars seront consacrés à un ensemble d’initiatives visant à soulager plus d’un demi-million de personnes ayant un besoin de logement, et ce, sur une période de dix ans. On construira des logements abordables tout en maintenant les subventions au logement et la lutte contre l’itinérance.

L’élément le plus important dans le plan consiste à construire 100 000 nouveaux logements et à en réparer environ 300 000 autres. Quelque 385 000 logements sociaux existants seront également admissibles à des subventions et à un soutien. Ces investissements sont essentiels pour protéger les stocks d’unités de logement qui étaient financées par le gouvernement fédéral et qui avaient grandement besoin d’être rénovées.

Pour assurer l’adhésion, il faudra se pencher sur les détails et avoir des consultations sur les exigences en matière de contrepartie financière des provinces et des villes. Il est important que les fonds fédéraux servent également de levier et maximisent les avantages pour les administrations locales et les organisations partenaires.

Il reviendra aux organisations d’exprimer les besoins des communautés afin d’assurer la réussite à l’échelle locale.

L’un des aspects les plus novateurs de la stratégie est d’inclure dans le processus des personnes ayant une expérience de ces problématiques; elles joueront un rôle fondamental dans la compréhension, la connaissance et l’orientation du développement de la stratégie et de sa mise en œuvre. Cela représente une avancée importante et respectable qui devra être mise en œuvre de manière réfléchie pour assurer sa pertinence et un apport de ressources et de financements adéquats.

Quelle sera donc la prochaine étape à partir de maintenant?

Premièrement, la stratégie doit s’harmoniser avec d’autres initiatives fédérales en matière de pauvreté, de problèmes de santé mentale, d’itinérance et d’offre de logements abordables.

Notre pays a radicalement changé au cours des deux dernières décennies, les différences régionales devenant plus évidentes. La stratégie devra être flexible en permettant l’application d’un modèle régional ascendant pour définir et traiter les problèmes localement. L’harmonisation avec les compétences provinciales et municipales sera essentielle pour mobiliser des fonds fédéraux et attirer d’autres investissements, y compris des fonds privés.

Une tâche vraiment importante consistera à s’attaquer aux causes profondes de l’itinérance et de la pauvreté d’une part, et à construire divers types de logements, d’autre part. De plus, offrir le bon ensemble de mesures de soutien aux personnes vulnérables afin qu’elles restent dans le logement permettra de freiner le cycle de l’itinérance.

La Stratégie nationale sur le logement fait une très bonne figure avec un investissement de 40 milliards de dollars, mais le diable est dans les détails. Nous devons rapidement nous mettre au travail pour assurer une utilisation habile de ces sommes et régler les principaux problèmes sous-jacents aux crises de logement abordable et d’itinérance.

L’annonce de la Stratégie nationale sur le logement marque une bonne journée pour le Canada, mais ne célébrons pas trop longtemps; beaucoup de travail reste à faire pour mettre fin à l’itinérance, une personne à la fois.

Jino Distasio est conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca, professeur agrégé de géographie à l’Université de Winnipeg et directeur du Institute of Urban Studies.