Montréal, 1959. Un petit garçon est allongé dans le lit de ses parents aux côtés de son père. Les ambulanciers arrivent et tentent de sauver l’homme, mais c'est trop tard. Le père du garçon, un ex-agent de la GRC et un homme d'affaires à succès, est décédé d'une crise cardiaque.
À ce moment précis, Marc Demers ignore encore que la mort de son père va forger le reste de sa vie. Humilité, loyauté, persévérance et effort, des valeurs qui guideront Marc Demers pour le reste de son existence.Also visit Melbet
Une belle enfance bouleversée Dans les années 1950, Montréal connaît une croissance de population de 35%. C'est aussi l'époque du rock n roll, les autobus remplacent les tramways et prennent d'assaut les rues de la métropole, la construction du Queen Elizabeth est entamée. C'est dans cette ville en mouvement que naît Marc Demers tout près de la rue Jarry, en août 1951. Il est l'un des cinq enfants d'une famille heureuse. La famille Demers vit un quotidien assez agréable à cette époque. Monsieur Demers a quitté la GRC en raison du règlement qui lui interdisait de se marier pour les cinq prochaines années. Il a plutôt épousé sa compagne et a ouvert une agence de détectives privés à Montréal. Mme Demers, déjà très occupée avec ses cinq enfants, tient à s'impliquer dans l'entreprise familiale. À l'époque, il est assez rare de voir une femme tenir ces deux rôles. La famille aime passer les vacances d'été à la maison de campagne à Oka. Un cheval appelé Rusty, un chien nommé Buster, un papa dynamique et blagueur... les compagnons de jeu ne manquent pas pour les enfants Demers. Le dramatique incident vient bouleverser une vie familiale paisible. Malgré ses efforts, Mme Demers n'arrive pas à maintenir l'agence de détectives fonctionnelle après la mort de son mari. Non pas pour un manque de volonté ou de compétences, mais parce que les circonstances rendent la tâche trop difficile. La famille traverse une période d'instabilité financière: l'entreprise ferme ses portes, la famille déclare faillite et Mme Demers, toujours en deuil de son mari, subvient toute seule aux besoins de sa famille: « Ma mère aurait pu nous abandonner ou nous séparer pour l'adoption, ce qui était commun à l'époque pour les mères monoparentales et les veuves, mais elle a refusé », explique Demers. « Ma tante nous a offert de nous adopter, mais ma mère a dit non. Elle voulait garder la famille unie ». Demers se rappelle la perte de la maison familiale et de la résidence à la campagne. S'enchaînent ensuite les locations d'appartements modestes qui ne sont pas conçus pour accueillir une famille: « C'était tout un défi de chauffer ce genre d'endroit pendant l'hiver », se rappelle Demers. Aide sociale, paniers de nourriture...un mode de vie très loin du quotidien qu'avait connu la famille privilégiée au début des années 50 : « Ma mère est passée de femme d'affaires prolifique à mère monoparentale en situation précaire, avec cinq enfants à nourrir et vêtir », ajoute Demers. Éducation et formation En raison des déménagements constants et de la recherche d'appartements à petit prix, Marc Demers est sans cesse « le petit nouveau » à l'école. Bien que son cercle d'amis soit toujours à recommencer, certains événements sont récurrents : le jeune Demers défend toujours les élèves victimes d'intimidation, quitte à être lui-même puni: « Je voulais aider certains élèves, mais ça m'a amené à me retrouver dans des bagarres avec d'autres ! » se souvient M. Demers.Au-delà de la réputation de bagarreur, c'était en quelque sorte une première apparition de la devise « Protéger et servir » qui guidera sa vie professionnelle. En effet, Demers deviendra policier dans sa vingtaine. La famille Demers emménage à Laval en 1967, principalement pour les loyers à bas prix. À 16 ans, Demers aide financièrement sa mère et commence à travailler comme mécanicien à la station d'essence Esso sur le boulevard Sauvé, 4 soirs par semaine tout en poursuivant ses études. À l'école secondaire Mont-de-La Salle, il n'est pas rare de le croiser dans son uniforme du Esso. Le jeune Marc donne toutes ses paies à sa mère pour l'aider à soutenir la famille. Ces épreuves n'arrêtent pas le jeune Marc Demers. Son patron chez Esso voit son potentiel et le nomme gérant d'une station à Ste-Thérèse : « J'ai accepté le poste parce qu'on avait vraiment besoin d'argent », se souvient Marc Demers. À 18 ans, Demers commence ses études collégiales, mais doit continuer de travailler. Il suit donc quelques cours au cégep St-Laurent, mais son horaire devient un véritable casse-tête : « Même si c'était difficile de trouver un équilibre à travers tout ça, je me considère comme chanceux. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré celle qui allait devenir mon épouse ». Par l'entremise d'amis communs, Marc Demers et Jeanne d'Arc Bélisle se rencontrent en mai 1971. Ils ne se sont jamais quittés depuis. À peine un mois après avoir rencontré sa future épouse, Demers entreprend sa formation de policier, un métier qu'il considérait depuis à peine quelques semaines. 30 ans de service pour la police de Laval Marc Demers n'avait pas nécessairement envisagé le métier de policier. Au début de sa vingtaine, alors que la ville de Laval est en période de recrutement, un voisin lui suggère de tenter sa chance comme policier. Encouragé par sa mère, Demers passe les tests et à sa grande surprise, on lui offre un poste : «J'étais très surpris, car j'ai commencé le sport et l'activité physique assez tard dans ma vie. On m'a quand même offert le poste et je devais commencer la semaine suivante », se rappelle-t-il. La formation n'est pas de tout repos. Demers traverse cet entraînement rigoureux grâce à son sens de l'humour, une belle qualité qui lui vient de son père. La nouvelle recrue trouve le moyen de faire des blagues dans le contexte sérieux et militaire de la formation de policier. Demers se souvient entre autres avoir pris une entente avec un collègue de classe qui s’attirait souvent les foudres de ses supérieurs : « J'ai dit à mon ami que chaque fois qu'il aurait une sanction, j'allais faire quelque chose pour en mériter une moi aussi. Comme ça, nous serions en punition tous les deux », explique-t-il. « Comme je ne buvais pas et je ne fumais pas, j'avais l'habitude de boire un Coke ou un 7-up. J'ai donc dû faire semblant de revenir au camp d’entraînement en état d'ébriété pour me mettre dans le trouble », ricane Demers. Ce genre de comportement lui valait une course d'une heure chaque soir après le repas, en plus de son entraînement physique de policier pendant la journée. Après la formation, une longue carrière débute. Nous sommes en décembre 1971. La première tâche de Demers en tant que policier a été de répondre aux appels d'urgence du département ambulatoire de la Station Chomedey en plus de ses fonctions régulières. Il gardera ce poste sept ans, période pendant laquelle il lancera un programme de camps de vacances en ville, projet innovateur pour l’époque. Le but de cette initiative était de permettre aux adolescents qui ont subi une arrestation de s'investir dans un sport qu'ils aiment, plutôt que se tourner vers la délinquance : « Nous n'avons pas fait d'argent en travaillant pour ce programme. Nous étions bénévoles et notre but était d'aider les jeunes », ajoute-t-il. Il sera plus tard assigné à la section « aide à la jeunesse » comme policier éducateur. Étant le seul de son équipe à savoir s’exprimer en anglais, il s’occupera particulièrement des jeunes anglophones. Il trouvera aussi une autre occasion de servir ses pairs en s'impliquant à titre de vice-président de son syndicat pendant dix ans. Un peu plus tard, la Station 2 accueille son nouveau sergent. Marc Demers est prêt à relever ce nouveau défi. C'est à cette époque que les activités illégales de l'administration Vaillancourt font tranquillement surface. Demers mène sa propre enquête et partage ses découvertes avec la Sûreté du Québec, ce qui mènera à la création de la Commission Poitras. M. Demers soutient que professionnellement, cette enquête n'a pas joué en sa faveur : «Techniquement, en tant qu'agent de police, M. Vaillancourt était mon employeur », explique Demers. Il sera en effet rétrogradé et emmené en Cour (probablement pour retarder son enquête), mais le vent finit par tourner : Marc Demers est nommé Sergent détective. Il est ensuite assigné aux enquêtes antifraudes, ce qui le ramène sur les traces de l'administration Vaillancourt. S'en suit un long processus pendant lequel l'affaire est abandonnée encore une fois dans des circonstances nébuleuses et Demers se voit transféré aux homicides. Vie familiale Demers a épousé sa compagne Jeanne d'Arc Bélisle et le couple a eu trois enfants: deux filles et un garçon. À l'image des belles journées d'été de sa jeune enfance à Oka, Marc Demers se rappelle de très beaux moments passés avec ses enfants, en camping. La rencontre avec un ours fait d’ailleurs partie des souvenirs marquants de la famille. Au travail comme à la maison, Demers conserve sa réputation de blagueur, comme son père : « J'aime taquiner et jouer des tours à ceux que j'aime », rigole Demers. Aujourd'hui grand-père, Marc Demers aime également passer du temps de qualité avec ses six petits-enfants. Un nouveau départ Après sa retraite en 2001, Demers ouvre sa propre entreprise en s’associant à sa sœur Andrée. Le frère et la sœur Demers suivent en quelque sorte les traces de leurs parents avec l'ouverture de ce bureau d'enquête privée, Demers Pro Services, qui s'avère une réussite : «Quand nous avons commencé, je n'avais aucune idée du succès qui nous attendait », dit Demers qui travaillait principalement sur des dossiers de fraude dans le domaine des assurances. « À un certain point, nous avions tellement de contrats que j'ai dû refuser des dossiers à plusieurs reprises ». Demers travaille 12 ans pour sa compagnie jusqu'à ce que l'appel du service aux citoyens se fasse à nouveau entendre, cette fois-ci auprès du gouvernement municipal de Laval. David de Cotis, fondateur d'un tout nouveau parti municipal en pleine ascension, interpelle M. Demers pour le poste de maire. Après trois tentatives, de Cotis convainc Marc Demers de se présenter à l'élection de 2013. À la suite d’un passage en politique provincial, il se lance donc au niveau municipal. Un vent de changement à Laval En tant que maire, Demers a continué de servir le public : « Quand j'étais agent de police, j'étais en contact constant avec une jeunesse qui a emprunté le mauvais chemin », dit Demers. « J'étais capable de diriger les jeunes dans le bon chemin grâce à des programmes de sport que j'avais créés. C'est là que m’est venue l'idée du Fonds Place-du-Souvenir ». Demers croit que donner les fonds récupérés de la corruption de l'administration précédente aux jeunes issus de milieux défavorisés serait une façon noble de combattre les inégalités. Le Fond Place-du-Souvenir, c'est donc un capital de plus de 10 millions de dollars dont les intérêts seront versés pour soutenir la cause des jeunes défavorisés, ce qui représente environ 600 000 $ par année. « Je crois sincèrement que nos institutions ont le pouvoir et la responsabilité d'intervenir et d'aider les gens dans le besoin », dit Demers. « Notre but est une distribution équitable des ressources. La Ville doit créer les conditions favorables à la libre entreprise, mais elle doit aussi intervenir pour encadrer certaines pratiques », explique-t-il. Alors qu'il en est à son premier mandat, le maire Demers contribue dès ses débuts à l'amélioration de la ville: transport en commun gratuit pour les aînés (une idée de Mme Demers), rénovations des parcs, arénas et bibliothèques, construction de centres communautaires... Demers a de quoi être fier. Avec l'ouverture imminente de la Place Bell, la vision d'une ville animée et dynamique, imaginée par toute l'équipe de Marc Demers, prend finalement forme : « Nos ententes dans la gestion de la Place Bell est aussi très équilibrée. Les exploitants feront de bonnes affaires et les familles auront aussi accès aux glaces dédiées au sport amateur ». Alors que son premier mandat arrive à sa fin, Demers est confiant quant aux efforts déployés par son équipe. Il met de l'avant la gestion stratégique et moderne des opérations: « En fin de compte, ce sont les citoyens qui en bénéficient. Ils en ont maintenant plus pour l'argent » dit-il. Pendant le premier mandat de Marc Demers, les citoyens ont vu le pourcentage de taxes augmenter de seulement 1,63 % par année en moyenne . « Je suis fier et je suis impressionné du travail qu'a fait notre équipe de conseillers », dit Demers. « La tête de la fonction publique a été complètement transformée. Nos gestionnaires ont implanté des méthodes de gestion moderne qui favorisent la planification et le contrôle des opérations ». Personne n'aurait pu prédire en 1959 que le jeune garçon en deuil de son père allait mettre de côté ses vacances à Oka pour combattre le crime et lever un voile de corruption sur une ville entière. Quand la compassion, l'effort et la persévérance rencontrent un sens aiguisé de la justice, ce sont tous les Lavallois qui en bénéficient.