La clinique dentaire communautaire Sourires Solidaires a ouvert ses portes, à Laval, le 22 février dernier. Sa mission ? Offrir des soins adaptés à tous les enfants, quel que soit leur milieu social ou la nature de leurs besoins. Laval en famille Magazine a rencontré Farid Amer Ouali et Tasnim Alami Laroussi, les fondateurs, afin de mettre en lumière cet enjeu et cette clinique qui travaille fort pour améliorer l’accessibilité des soins dentaires en milieu défavorisé.
Au Canada, on estime qu’un tiers des chirurgies d’un jour chez les enfants entre un et cinq ans sont liées à la carie dentaire. En 2013, environ 5 000 Québécois de moins de dix ans ont été traités sous anesthésie générale pour leurs maladies dentaires. Aussi, 65 % des jeunes patients ayant un trouble du spectre de l’autisme ne sont pas traités par un dentiste. 83 % des parents d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme considèrent difficile de brosser les dents de leur enfant dû au manque de coopération. Si la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) couvre, entre autres, l’examen annuel, les traitements de caries et les traitements d’urgence des enfants de moins de 10 ans, ces familles n’ont pas toutes accès à un dentiste et aux soins nécessaires à l’entretien d’une bonne santé buccodentaire.C’est dans l’optique de répondre à cette problématique que Tasnim Alami Laroussi et Farid Amer Ouali ont créé la première clinique dentaire communautaire au Québec, Sourires Solidaires.Les débutsTasnim et Farid sont tous les deux Lavallois. La première n’envisageait aucunement une carrière en dentisterie lorsqu’elle était plus jeune. Tasnim explique même avoir toujours eu peur du dentiste lorsqu’elle était enfant. Pourtant, attirée par le domaine de la santé et par le fait de prendre soin des gens, elle choisit d’étudier en médecine dentaire. « En terminant mes études et en travaillant dans le milieu communautaire, j’ai réalisé que je pouvais réellement aider les gens à travers la dentisterie. Je n’ai jamais regretté mon choix en me dirigeant vers la médecine dentaire », stipule-t-elle. Farid, quant à lui, rencontre Tasnim au cours de ses études. Se rendant rapidement compte que la complexité de certains problèmes nécessitait des soins plus spécialisés, il décide de devenir chirurgien maxillo-facial. Il a notamment exercé dans plusieurs hôpitaux de la grande région métropolitaine.Durant leurs années d’exercice, Farid et Tasnim ont eu l’occasion de pratiquer auprès d’une grande variété de clientèles. Travaillant dans une clinique pédiatrique et se rappelant ses souvenirs d’enfants, Tasnim réalise qu’aller chez le dentiste peut être une expérience traumatisante chez certains, adultes ou enfants. Farid et elle se rendent également compte que, dans certains milieux plus défavorisés, la prévention et le maintien d’une bonne hygiène buccodentaire ne font pas partie du quotidien, faute de moyens. En effet, dans le système de santé actuel, la RAMQ ne couvre pas tous les soins préventifs indispensables au maintien d’une bonne santé des dents et de la bouche. Tasnim explique notamment avoir reçu nombre d’enfants référés par des cliniques conventionnelles qui ne pouvaient traiter leurs besoins.L’accessibilité au cœur du problème
Tous deux réalisent qu’il existe un problème d’accessibilité en matière de soins dentaires. « Avec Farid, nous aimons soigner, mais aussi redonner. Nous nous considérons chanceux d’avoir pu effectuer nos études en médecine dentaire ; nous avons donc choisi de redonner à la communauté grâce à notre métier », confie Tasnim. Farid ajoute : « En fait, tout n’a pas débuté par Sourires Solidaires. Nous avons tout d’abord été confrontés au manque d’accessibilité aux soins dentaires, et nous avons été particulièrement sensibles à cette réalité. Il arrivait souvent qu’on côtoie des patients qui avaient de la difficulté à se procurer des soins dentaires et qui se présentaient dans un contexte d’urgence avec des problèmes graves, non pas par négligence, mais plutôt par manque d’accessibilité. Cela nous a mené à nous interroger, à tenter de comprendre notre système de santé et pourquoi certaines personnes ont plus de difficulté à obtenir certains soins ou sont plus à risque d’avoir de graves problèmes dentaires ou buccaux.C’est ainsi que leur vient l’idée d’ouvrir une clinique communautaire, un établissement adapté aux besoins de leurs patients, les enfants, plutôt que le contraire.Sourires Solidaires a été notre réponse à cette question et notre objectif est d’adapter nos soins à cette catégorie de personnes pour lesquelles il est plus difficile d’obtenir des soins. »La dentisterie sociale comme solution
Le projet prend officiellement forme en 2018. Tasnim et Farid établissent Sourires Solidaires à Laval, ville à laquelle ils sont attachés et dont ils connaissent bien les enjeux. « Nous partageons des valeurs communes avec les acteurs de la ville de Laval que nous avons été amenés à rencontrer : l’innovation, le développement économique et social, le fait de penser à l’extérieur du cadre conventionnel, l’importance de la jeunesse. »En 2018, afin de mener à bien ce projet, Tasnim poursuit sa formation en faisant une maîtrise à l’École de santé publique de l’Université de Montréal afin de mieux comprendre la santé publique et ses rouages. Elle réalise rapidement qu’il existe peu de recherches sur la dentisterie sociale pédiatrique dans le milieu académique. Parallèlement, Farid s’implique à l’hôpital Sainte-Justine et l’hôpital Sacré-Cœur. Ils s’aperçoivent du manque de ressources et de services disponibles dans le secteur public et privé de la santé. « Nous avons cherché à sortir du cadre conventionnel afin d’adapter nos soins pour nos patients. C’est dans cette optique que nous avons pris un virage plus communautaire et que nous avons été épaulés par la Ville de Laval, des organismes, des fournisseurs, des universités, etc. Cela a été vraiment l’émergence du concept de Sourires Solidaires. Nous avons été mis en contact avec toutes sortes de personnes, de toutes sortes de milieux, afin d’avoir leur point de vue sur notre cause, dans le but de pouvoir s’entraider », expliquent Farid et Tasnim.Tasnim et Farid s’entourent de professionnels dentaires et des acteurs locaux de la ville de Laval afin de travailler sur leur plan d’affaires. L’objectif : la dentisterie sociale. Qu’est-ce que cela signifie ? Farid poursuit : « il s’agit d’aller au-delà de traiter tout simplement une bouche et d’en soigner les bobos, nous voulons traiter l’enfant dans sa globalité. Et cela se fait en partie par la prévention et la collaboration. Avec les enfants, il importe de leur inculquer de bonnes habitudes en termes d’hygiène buccale et dentaire. Avec les parents, nous les amenons à prendre conscience de l’importance des soins buccodentaires, en supervisant le brossage par exemple. » « La dentisterie sociale, c’est la prise en charge du patient de manière globale, en tenant compte tous les facteurs sociaux, économiques et culturels l’entourant. Pour une prévention efficace qui aura un impact durable, il faut aller au-delà des soins des dents et considérer tous ces éléments dans leur ensemble. Nous pensons que c’est ainsi que l’on peut procurer des traitements de qualité, adaptés à la réalité du patient. Le plus important : inclure le patient dans le traitement et le faire participer à la prise de décisions afin de le responsabiliser. De cette manière, l’impact sera plus important à long terme », explique Farid.Au fil des années, Tasnim et Farid continuent de prendre en charge et de traiter des patients. Ainsi, non seulement ils ont développé leur volonté d’aider, mais également leur expérience et leur expertise afin de pouvoir créer un modèle durable. Ils s’entourent d’une multitude de partenaires locaux mettant à profit leur expertise professionnelle. C’est un des éléments qui fait la force de Sourires Solidaires. Inscrite comme organisme de bienfaisance, la clinique Sourires Solidaires a attiré de nombreux partenaires financiers et donateurs, ce qui leur a permis d’acquérir les différents équipements de la clinique. De plus, outre les aides financières offertes par ces derniers, les membres du comité de coordination des ressources publiques (CCRP) de la Ville de Laval ont notamment accordé une subvention de 140 000 $ à Sourires Solidaires pour le développement des programmes de soins adaptés et dédiés aux enfants avec des besoins particuliers.Des programmes qui donnent le sourire
En plus des soins fournis par la clinique, Sourires Solidaires donnent également des ateliers éducatifs. « Nous cherchons à établir un lien avec la communauté. Cela nous permet de nous rapprocher des familles isolées du système de soin et afin de pouvoir répondre pleinement aux besoins des différentes familles. L’objectif n’est pas d’aller dans la critique, mais plutôt vers l’éducation et la prévention », explique Tasnim.De surcroit, afin de poursuivre cette optique de dentisterie sociale, Sourires Solidaires lancent deux programmes : Sourire du cœur et Sourire par la main. Le premier consiste en des soins gratuits offerts par des dentistes bénévoles, certains samedis, en partenariat avec des organismes locaux. Durant ces derniers, intitulés Journée Pro Bono, des enfants de 10 à 17 ans ne possédant aucune assurance pour couvrir leurs soins peuvent être traités gratuitement.Sourire par la main, quant à lui, est un programme de soins adaptés s’adressant aux enfants avec des besoins particuliers. C’est un programme qui est conçu par une équipe multidisciplinaire (ergothérapeute, éducatrice spécialisée, orthophoniste). Par exemple, la désensibilisation en milieu dentaire est ainsi mise de l’avant, autant pour des enfants souffrant d’anxiété que pour les enfants à besoins particuliers. Des séances sont offertes sans frais supplémentaires afin que les enfants puissent se familiariser avec le milieu de la clinique afin de soulager leur anxiété. Il est également possible d’avoir recours à de légers gaz relaxants pour les enfants particulièrement anxieux ou qui ont des besoins particuliers. « Nous souhaitons rendre l’expérience chez le dentiste moins traumatisante en nous adaptant aux besoins de chacun. Cela s’inscrit également dans notre projet de dentisterie sociale », stipule Tasnim.Encore plus de sourires vers l’avenir
Maintenant que la clinique est ouverte, quels sont les futurs objectifs de Sourires Solidaires ? Comme l’explique Tasnim et Farid, les objectifs sont infinis. D’un point de vue micro, ils souhaiteraient, bien évidemment, se développer et ajouter services et programmes pour les personnes vulnérables. Ils rêvent notamment que, pour tous les enfants de Laval, aller chez le dentiste soit une expérience agréable.Dans ce but et aussi dans celui de pouvoir diversifier encore davantage les offres de la clinique, ils souhaiteraient inviter d’autres partenaires à participer à l’aboutissement de ces dernières.D’un point de vue plus large, Tasnim et Farid aimeraient reproduire la gamme de services de Sourires Solidaires afin que des organismes et des cliniques semblables puissent voir le jour dans d’autres régions du Québec.Un sourire exprime un bien-être, une émotion ; un sourire fait toujours du bien, pour son auteur et pour les personnes à qui il est destiné. Et surtout, un sourire fait du bien lorsqu’il est solidaire.