Connaissez-vous la maladie de la fibromyalgie? Encore très peu connue, une douleur généralisée en est le principal symptôme. Si l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) la reconnaît comme une maladie à part entière depuis 2006, ce n’est toujours pas le cas du Canada. Il y a cinq ans, Sandra Lalancette a reçu son diagnostic. Elle nous livre son témoignage en toute humilité.

« Je suis une personne fonceuse, je suis une battante. Je peux même dire que je suis une vraie tête de cochon. » C’est ainsi que Mme Sandra Lalancette se décrit avant son diagnostic et ce sont ces qualités qui la poussent toujours à se battre, jour après jour, malgré les difficultés engendrées par la fibromyalgie.

« Si je repense à mes premiers symptômes, cela doit faire une dizaine d’années que je suis malade. Cependant, cela ne fait que cinq ans que je suis officiellement diagnostiquée comme atteinte de la fibromyalgie. En effet, cela a pris du temps avant que je me demande ce qu'il se passe. Pour moi, cela a commencé vraiment avec les pieds et les mains. Je me réveillais la nuit avec l’impression qu’on me brûlait avec un briquet. Je faisais également beaucoup de sudation nocturne, tellement que je changeais mon lit deux ou trois fois par nuit et que je dormais avec des serviettes. La douleur, elle, empirait graduellement. Ma tête, ma mâchoire, mes os me faisaient tellement mal, comme s’ils étaient cassés. J’ai d’abord pensé être atteinte d’un cancer. Lors de ma première consultation chez un médecin, on a commencé à me parler de fibromyalgie. Je n’avais jamais entendu parler de cette maladie. On me disait qu’on n’en mourrait pas, mais que c’était très douloureux. J’ai commencé à me renseigner et j’ai vu que si quelqu’un avait trois des dix symptômes les plus courants, elle pouvait être atteinte de fibromyalgie.  Toutefois, il n’y a pas de test défini permettant d’affirmer à 100% que nous sommes atteints de fibromyalgie.  À l’époque, on l’appelait même la "maladie imaginaire" ». En plus de la douleur, on retrouve notamment comme symptômes un sommeil non réparateur, une fatigue persistante, des troubles ou une altération de la mémoire, des migraines, des troubles de l’humeur, une sensibilité extrême aux sons, à la lumière, aux odeurs et à la température.

Ainsi, Mme Lalancette est allée voir une rhumatologue et a commencé à faire une batterie de tests. « J’ai passé le test de l’entonnoir. Il s’agit d’un test où on élimine, à l’aide de prises de sang, les différentes maladies : maladies des os, cancers, etc. J’ai donc effectué tous ces tests durant un an. Dans ma tête, j’étais persuadée qu’on allait m’annoncer qu’il me restait six mois à vivre. La douleur que je ressentais, c’était une douleur que je n’avais jamais connue et que je ne comprenais pas. Pourtant, j’ai déjà eu un accident de travail. Je connais donc la douleur que peut ressentir un corps. Lorsqu’on m’a annoncé que j’étais atteinte de fibromyalgie agressive, j’étais défaite. Je ne savais pas ce qui allait se passer. Ma rhumatologue m’a dit qu’il n’y a pas de solution. Pour le moment, la recherche commence et on fait des essais pour la médication, mais la fibromyalgie, ça ne se soulage pas et ça ne se guérit pas.  Ce que ça veut dire? Que c’est ça ma vie maintenant. »

« Chez moi, tout est atteint. Je souffre de sécheresse oculaire qui affecte ma vision, j’ai de la difficulté à m’exprimer, car mes mots se mélangent le matin et le soir. J’ai des pertes de mémoire.  J’étais fonctionnelle et là, je ne le suis plus. Surtout, je ressens de la douleur 24 h sur 24, 7 jours sur 7. C’est difficile à expliquer comme douleur. J’ai parfois l’impression que c’est mon muscle qui fait mal, d’autres fois, ce sont mes os ou mes articulations. Parfois, ce sont les trois en même temps. Il y a toujours une partie de mon corps qui est en douleur. Je n’ai pas le souvenir d’une journée sans avoir eu mal. Et la douleur nous rend sensibles à tout : le son, la lumière. Les changements de saisons, c’est tellement souffrant. L’humidité de l’hiver est terrible, mais la chaleur humide aussi. »

Parmi les nombreux changements que Mme Lalancette a dû appliquer dans sa vie, il y a notamment eu le changement de carrière. Il n’était plus possible qu’elle continue son poste en optométrie et qu’elle reste assise 10 h d’affilée. Elle travaille actuellement en bâtiment où elle s’occupe, avec son coéquipier, d’une structure à condominium de 400 unités. « C’est très physique. J’ai choisi ce domaine, car je voulais obliger mon corps à continuer. Je combats le mal par le mal. Plus je force mon corps physiquement au travail, plus j’ai l’impression que le mal provoqué par la fibromyalgie diminue, même si c’est un peu contradictoire. »

La médication
« Pour la médication, j’ai commencé par celui qui a le plus de succès jusqu’à maintenant pour les personnes atteintes de fibromyalgie - environ 50 % des cas - pour le soulagement de la douleur. Malheureusement, je fais partie des 50 % pour lesquels cela ne fonctionne pas. Peu importe le médicament, il n’est possible de n’offrir qu’un soulagement minime à une personne souffrant de fibromyalgie. Ensuite, j’ai essayé des antidépresseurs, car une de leurs composantes peut aider les gens avec la douleur, des antidouleurs, des somnifères. Rien ne fonctionnait. Je me sentais un peu comme un rat de laboratoire. C’est difficile de se lever le matin et d’avoir autant de pilules à prendre à seulement 45 ans. À chaque fois que je devais abandonner un nouveau médicament, c’était une nouvelle déception. J’espérais toujours que le nouveau fonctionnerait enfin pour m’offrir un soulagement minimal. En ce moment, j’ai arrêté toute médication, car je vomissais tous les matins. Je n’en pouvais plus et cela n’améliorait pas mon état. »

« La fibromyalgie provoque également des crises d’angoisse, et cela peut arriver n’importe quand. J’ai donc des médicaments pour m’aider également lors des moments de panique et d’angoisse. Ceux-ci au moins fonctionnent. Cela n’arrête pas les crises, mais les prévient. »

Outre les médicaments, certaines actions peuvent aider un tant soit peu la diminution de la douleur. Toutefois, Mme Lalancette précise que celles-ci varient bien entendu d’une personne à l’autre, mais également du moment de la journée où la douleur survient. « Mes parents m’ont offert un sauna sec portable. Les UV m’aident à être moins rigide lorsque je me lève le matin. Lorsque j’arrive à la maison après le travail, je prends toujours un bain chaud de 2 h. L’eau chaude n’arrête pas la douleur, mais elle offre une certaine accalmie. Aussi, la lumière est toujours tamisée chez moi, car sinon cela devient agressant et me donne des migraines. À l’extérieur, je porte toujours des lunettes de soleil, même lorsqu’il fait nuageux. »

Le jugement des autres
Il faut préciser que cette maladie n’est reconnue ni au Québec ni au Canada. Aucune aide n’est donc offerte aux personnes atteintes de fibromyalgie. Les assurances ne couvrent pas non plus les traitements. Pourtant, selon la Société québécoise de la fibromyalgie, environ 2 % à 3,3 % de la population canadienne sont atteints de cette maladie et un peu moins de 280 000 personnes au Québec. Quel message aimerait donc faire passer Mme Lalancette au gouvernement? « Nous avons besoin d’une aide financière. Nous avons besoin de sous pour nous faire traiter, pour soulager notre douleur. Le taux de suicide chez les personnes atteintes de fibromyalgie est élevé. Avec la douleur, on n’arrive plus à savoir quoi faire. L’acupuncture, la chambre hyperbare et la massothérapie peuvent vraiment soulager quelqu’un en début de maladie en plus de ralentir sa progression, mais les sessions sont dispendieuses. Nous n’avons pas de solution miracle pour vaincre cette maladie, mais aidez-nous au moins à soulager notre souffrance. » Le traitement par chambre hyperbare consiste à envoyer une concentration élevée d'oxygène dans les parties du corps douloureuses. Si en Europe les traitements par chambre hyperbare sont très reconnus, ils sont encore assez rares au Canada.

Mme Lalancette précise : « La fibromyalgie n’est pas une plaie ouverte. Les gens ont donc de la difficulté à comprendre lorsque nous avons des crises de douleur. Ils pensent que c’est dans notre tête. Les gens ne connaissaient pas la fibromyalgie et même moi, j’ai du mal à l’expliquer. C’est encore très méconnu. J’ai de la chance d’avoir un coéquipier qui a pris le temps de comprendre la fibromyalgie, mais ce n’est pas tous les employeurs et collègues qui comprennent la réalité des personnes atteintes. »

La famille et les amis
« Ce que je trouve le plus dur, c’est par rapport à ma fille de 12 ans et à mes parents. Ce n’est pas à eux de prendre soin de moi, ça devrait être le contraire. C’est là que j’ai vraiment réalisé que ma vie venait de basculer. J’ai toujours été une femme qui était capable de s’arranger toute seule. Je ne demandais aucune aide. J’en suis même venue à penser que rien n’arrive pour rien et que j’avais cette maladie, car je ne demandais jamais d’aide. Cette maladie m’oblige à en demander, car quelquefois, je n’y arrive tout simplement pas.

« Quand je suis sortie de la clinique après mon diagnostic, j’ai tout de suite appelé ma mère. La seule chose que j’ai eu la force de lui dire c’est "Maman, c’est la moins pire des pires maladies. Je n’en mourrais pas, mais je vais en souffrir jusqu’à la fin. Ça ne se guérit pas." C’est sûr que pour un parent, c’est difficile à entendre, mais j’ai la chance d’avoir des parents très aimants. Sans eux, je crois que j’aurais baissé les bras plus vite. Je les remercie d’être là pour moi et de m’épauler. »

« Pour ma fille, c’est tout aussi difficile de me voir devenir de plus en plus malade. Je lui apprends à gagner en autonomie. »  Elle ajoute : « Un jour, ma fille m’a dit : "tu ne penses pas qu’il est temps de penser à toi et d’être heureuse?" Elle est définitivement une vieille âme et je la remercie tout simplement d’être qui elle est. »

« La vie change, les priorités aussi. Avant, je voulais rentrer dans le moule social : la famille, les enfants, le chien, la maison. Quand j’ai été diagnostiquée, je me suis posée la question : est-ce que je suis vraiment heureuse dans la vie? Nous n’avons pas la fibromyalgie pour rien : cela vient d’un choc, d’une situation, d’épreuves. Cela vient donc de plusieurs éléments jusqu’à ce que ton corps dise c’est assez.  Donc, est-ce que je suis heureuse? Est-ce que je vis pour moi ou pour la société? Cette pensée a donc changé toutes mes valeurs. Avec la fibromyalgie, je n’avais pas le choix de m’occuper de moi et de profiter de la qualité de vie qu’il me reste. Avec le temps, cette dernière diminue de plus en plus, et depuis un an, cela va encore plus vite. Je ne me dis plus jamais : j’aurais dû. Je profite du moment présent. La fibromyalgie m’a donc ramenée à l’essentiel. J’ai toujours été reconnaissante de la vie, même si on me l’a faite dure, mais maintenant je prends le temps de m’arrêter. Rien ne me rend aussi heureuse que de regarder ma fille dessiner, par exemple, et de savoir ce qu’elle pense. »

Quels conseils donnerait Sandra Lalancette? Aux personnes atteintes, à leurs proches, aux gens en général? « Pour les proches, je leur dirai avant tout de ne pas aller au-devant de la personne atteinte. Si j’ai besoin de quelque chose, je vais le demander. Il faut rester positif, mais il faut aussi être réaliste. Et surtout, il faut faire preuve d’ouverture d’esprit. N’hésitez jamais à poser des questions pour comprendre la maladie. C’est important. »

« Je m’accroche beaucoup à mon entourage, car je l’ai choisi. J’ai d’excellents amis et une famille qui m’accompagnent à travers la fibromyalgie. C’est important de choisir un bon entourage, et pas uniquement quand la maladie arrive. Il ne faut pas attendre pour profiter d’être en bonne santé. La journée où tout bascule, on ne t’appelle pas la veille pour te prévenir. Il faut vivre une vie sans regret. »

« Pour les personnes atteintes, c’est difficile. Il faut y aller un jour à la fois. N’hésitez pas à tout essayer, car peut-être on trouvera le médicament qui pourra vous soulager. Le plus important est de s’entourer de gens qui seront là pour vous. C’est beaucoup à gérer : la douleur, le physique, le jugement. Mais il faut se tourner vers l’essentiel. L’amour guérit et soulage, et c’est parfois assez pour que l’on s’accroche. »

« Personnellement, je souhaite pouvoir encore travailler quelques années, mais surtout j’aimerais voir des avancées concernant cette maladie. Ce serait mon souhait le plus cher. C’est pourquoi j’ai accepté cette entrevue. Si cela peut changer quelque chose, si cela peut aider quelqu’un, c’est déjà ça de gagné. »