Entrevue avec Dr Jean-Pierre Trépanier, directeur de la santé publique du CISSS de Laval et Dr Olivier Haeck, microbiologiste infectiologue et Officier de prévention et de contrôle des infections (PCI) au CISSS de Laval
«On a débuté un marathon, mais on ne sait pas encore si ce sera un triathlon ou un Ironman.»À 43 ans, Dr Jean-Pierre Trépanier cumule déjà plus de 20 ans d’expérience dans le réseau de la santé et des services sociaux. Directeur de la Santé publique au CISSS de Laval depuis 4 ans, il a débuté sa carrière dans un contexte de pandémie de grippe H1N1. En termes de crise sanitaire et d’éclosions de maladies infectieuses, il en a vu d’autres ! Pourtant, la COVID-19 s’avère le plus grand défi auquel il a été confronté jusqu’à maintenant. De son côté, le Dr Haeck est microbiologiste- infectiologue depuis 2007 à Laval. Depuis 2012, il est également Officier de prévention et de contrôle des infections (PCI) au CISSS de Laval, un rôle qui a pris des proportions inégalées depuis l’émergence de la pandémie de COVID-19.Un super virus« On a affaire à un super virus. Il est extrêmement contagieux, a un taux d’incubation prolongé (1 à 14 jours, soit beaucoup plus long que beaucoup de maladies virales) et présente un taux de mortalité de 5 à 10 fois plus élevé que la grippe saisonnière» - m’explique le Dr Haeck. À ces caractéristiques s’ajoute le fait qu’aucun médicament n’est disponible, ni pour le traitement, ni pour la prévention de la maladie. « Bien que nous ayons eu l’expérience du SRAS en 2003 à Toronto, puis une brève expérience d’une éclosion de Coronavirus du Moyen-Orient en 2015 en Corée du sud, les recherches pour développer un vaccin contre un coronavirus étaient très peu avancées au moment du déclenchement de la pandémie. Et comme il s’agit d’un vaccin qui sera potentiellement administré à des milliards de personnes, il faut prendre le temps de s’assurer qu’il soit efficace ET sécuritaire!» - Dr Haeck. COVID-19… en 2020«On l’appelle COVID-19 parce que le virus a été détecté en 2019, mais disons que pour nous, la situation a commencé à être alarmante vers la fin janvier. On a vraiment débuté l’année avec la COVID dans nos radars, et disons qu’elle ne les quitte plus!» me dit Dr Trépanier. Dr Haeck renchérit: «Au tout début, on a eu un peu d’espoir que la maladie reste en Chine. Lorsqu’on a vu la situation en Italie, on a su qu’il fallait se préparer à ce que ça arrive chez nous.»Des équipes sur le pied de guerre Pour l’ensemble des 10 500 employés du CISSS de Laval, les efforts sont immenses. Du côté de l’équipe de santé publique, qui compte quelque 100 employés et 15 médecins, on se dévoue 7 jours sur 7, de 8h à 20h, à enquêter, analyser les données et produire les statistiques que tout Laval regarde attentivement quant au nombre de cas par quartiers, etc.« C’est une équipe formidable, dédiée et très engagée, malgré les défis. Bien sûr, ils ont parfois des moments de doute, des inquiétudes. C’est normal, on en a tous ! » - Dr Trépanier. Pour l’équipe de prévention et de contrôle des infections, composée initialement des microbiologistes-infectiologues et d’une douzaine d’infirmières cliniciennes dévouées, c’est une bataille soutenue contre «l’ennemi invisible ». Leur rôle : traduire les lignes directrices émises par l’Institut national de Santé publique du Québec (INSPQ) en applications concrètes sur le terrain, dans les 32 installations du CISSS de Laval. À cela s’est ajouté depuis mars tous les CHSLD privés, ressources intermédiaires, résidences pour personnes âgées et autres ressources d’hébergement sur le territoire lavallois. « Mon rôle est scientifique et communicationnel : je dois éclairer le comité de direction et les accompagner dans la prise de décision. » - Dr Haeck. Des décisions qui doivent se prendre rapidement, et qui ont un impact majeur sur notre collectivité.Ça va bien aller
Comme beaucoup de nos anges-gardiens, les deux médecins ne comptent plus les heures depuis le début de la crise. Tous deux pères de familles, ils travaillent 7 jours sur 7, entre 12 à 14 heures par jour. Ils sont résolus et dédiés, mais espèrent tous deux que le vent commence à tourner.Au moment d’écrire ces lignes, on ne connaît pas le futur. Ils espèrent grandement la découverte d’un vaccin le plus tôt possible. D’ici là, ils continuent leur travail acharné en pensant à tous ces aînés en centres d’hébergement, à ces travailleurs de la santé courageux et à ces milliers de chômeurs involontaires. À toutes ces personnes touchées de près ou de loin. « Une chose est claire pour moi, il faut rester soudé, car c’est ensemble qu’on réussira à s’en sortir. De cette crise émergera certainement du positif, des changements salutaires pour toutes et tous.» - Dr Haeck.Au cœur de la solidarité
Plusieurs le disent, l’un des aspects positifs de cette crise est la mobilisation de la population. La Fondation Cité de la Santé est aux premières loges pour en témoigner. Depuis 40 ans, la Fondation contribue à l’amélioration de soins et services offerts d’abord à l’Hôpital et désormais aux 32 installations du CISSS de Laval. Nous prenons soin de notre monde. Maintenant, plus que jamais.La Fondation a mis sur un pied un fonds d’urgence COVID-19 dès les tout débuts de la crise, en misant sur 3 principaux axes de financement: le soutien aux populations particulièrement vulnérables pendant la pandémie, l’achat d’équipement médical essentiel et le soutien au personnel soignant. Plusieurs individus et entreprises ont exprimé leur générosité et ont permis plusieurs petits (et grands) miracles:L’acquisition de tablettes électroniques pour les aînés hébergés
Dès le déclenchement du confinement, la Fondation a acheté et distribué 31 tablettes dans nos 5 CHSLD publics afin de permettre aux aînés, qui ne pouvaient plus recevoir de visite, de communiquer avec leurs proches. Cette initiative a été saluée et s’est par la suite étendue vers d’autres secteurs, notamment les soins critiques à l’Hôpital et les centres d’hébergement privés. Un don de TELUS (40 tablettes supplémentaires) a ainsi permis a encore plus de personnes âgées de garder contact avec les leurs.« Les résidents sont très contents de pouvoir voir leur famille par vidéoconférence, même si certains ne comprennent pas trop le fonctionnement, explique France Nardelli, responsable du service des loisirs au CHSLD Sainte-Rose. Pour nombre d’entre eux, c’est la première fois qu’ils sont en contact avec la technologie. »L’achat de kits de divertissement et de lecteurs DVD portatifs au Centre jeunesse
Les jeunes nouvellement admis au Centre jeunesse doivent obligatoirement se placer en confinement dans leur chambre pendant14 jours. Pour briser leur isolement et leur permettre de se divertir, la Fondation a permis l’achat de 12 lecteurs DVD portatifs, de quelques jeux et de matériel d’arts pour eux.Distribution de chocolats de Pâques dans les organismes communautaires
À l’occasion de Pâques, grâce à la contribution de Chocolats Favoris et Mondoux Confiserie, la Fondation a distribué plus de 4000 chocolats dans une douzaine d’organismes communautaires œuvrant à Laval auprès de femmes victimes de violence, personnes récemment immigrées ou familles issues de milieux vulnérables.L’acquisition de 2 échographes portatifs à l’urgence de l’Hôpital
Pour l’urgence de l’Hôpital, nous avons acquis deux échographes portatifs, qui permettent d’effectuer des échographies auprès de patients atteints de COVID-19 directement à l’unité, limitant les risques de contagion et accélérant les procédures.La multiplication de petites attentions pour le personnel soignant
Le Dr Joseph Dahine, intensivite et interniste à l’Hôpital, nous a contactés afin de mettre sur pied un fonds dédié au soutien du personnel en CHSLD. Les sommes recueillies permettront de valoriser et faire rayonner ces employés, lorsque la crise se sera légèrement atténuée et que nos gens auront un grand besoin de soutien. De plus, chaque jour, la Fondation facilite l’expression de solidarité de diverses entreprises ou citoyens qui nous contactent pour offrir des repas au personnel ainsi que des dons en biens.La communauté lavalloise a aussi répondu en offrant de son temps. Sophie Bouchard, Chef de coordination des ressources bénévoles et des soins spirituels au CISSS de Laval peut en témoigner: « Au moment fort de la crise, on recevait 15-20 courriels par jour de bénévoles intéressés! Les gens sont tellement généreux, c’est très touchant de voir cela! Il y a même certains bénévoles que j’ai dû ralentir, car ils commençaient à mettre leur propre santé, physique ou mentale, en péril en voulant aider toujours plus. Ils sont si dévoués!»Au moment de mettre sous presse
- 150 bénévoles se sont manifestés
- plus de 2000 candidatures reçues à Je contribueLes visages de la lutte au CISSS de Laval
Dans une situation comme celle-ci, chaque geste compte, chaque personne est importante. Du brancardier au technicien en laboratoire, en passant par l’ambulancière et la travailleuse sociale, chacun des 10 500 employés a un rôle clé à jouer dans la réponse de notre communauté face à cette pandémie. Ils sont TOUTES ET TOUS, nos anges-gardiens.Jennie Laguerre, éducatrice spécialisée Jennie travaille au CISSS de Laval depuis 4 ans, auprès des enfants vivant avec un trouble de spectre de l’autisme. Avant la pandémie, elle travaillait à domicile, se rendant chez les familles ayant des enfants de moins de 5 ans qui ne sont pas encore diagnostiqués mais qui présentent un retard de développement ou de stimulation.Quand je l’ai appelée, mi-avril, cela faisait deux semaines que son quotidien était bousculé: elle travaille désormais de nuit, pour la toute première fois de sa vie, auprès de 6 jeunes hébergés à l’Unité Le Jardin au 310 boul. Cartier. Cette toute nouvelle unité accueille des jeunes ayant des besoins considérables, vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme.« C’est certain que c’est très différent pour moi! Ces jeunes ont un besoin très grand de stabilité, de routine et d’organisation donc dans le contexte actuel, ils sont très fragiles et se désorganisent facilement. C’est très exigeant, il faut vivre cela une journée à la fois, voire une heure à la fois!» me raconte-t-elle. Malgré tout, comment réussit-elle à rester positive et conserver le moral?« Il faut trouver des moyens de garder l’équilibre, de gérer son stress. La musique m’aide beaucoup, mais aussi la spiritualité et la réflexion. Il ne faut surtout pas négliger sa santé et son esprit. J’appelle régulièrement ma famille et mes amis. Il faut continuer à vivre et prendre soin de soi. On va y arriver, tous ensemble». Si vous n’étiez pas déjà admiratif du dévouement de Jennie, il faut savoir qu’en plus de son rôle essentiel, elle a aussi trouvé le temps de composer et réaliser ce rap pour inciter les jeunes à « propager l’info, pas le virus » : youtu.be/ufU6E0gbZc8Caroline Donais, infirmière
Caroline Donais est conseillère-cadre au Bureau de gestion intégrée de la qualité et des risques à la Direction de la qualité, de l’évaluation, de la performance et de l’éthique (DQEPE). Infirmière de profession, elle a exercé plusieurs fonctions dans ses 19 ans de carrière avant de se tourner vers la gestion des risques. Elle ne pensait jamais que la COVID-19 allait la propulser dans toutes les formes possibles de l’expression «autres tâches connexes».Lorsque plusieurs employés ont commencé à tester positifs au CHSLD Ste-Dorothée, elle s’est portée volontaire pour y travailler comme coordonnatrice de site (quart du soir).Une expérience marquante
« Je n’avais jamais travaillé en CHSLD de ma carrière. Ces deux dernières semaines, je n’ai jamais autant changé de couches de toute ma vie!» dit la mère de trois enfants, quand même!« Il faut se le dire. C’est inédit ce qui se vit en ce moment. Les CHSLD sont conçus pour être des milieux de vie, pas des milieux de soins aussi intenses! Et il y a le rythme des décès, soutenu et très lourd pour les membres du personnel qui côtoient ces personnes âgées, connaissent leurs habitudes et leurs familles… nous ne sommes pas prêts à faire face à cela, personne ne l’est ! » me raconte-t-elle.Un travail d’équipe
Au moment de l’entrevue, le renfort arrive enfin au CHSLD. Des ergothérapeutes, des physiothérapeutes, des médecins, des éducateurs spécialisés, des bénévoles… Et tout ce beau monde s’appliquent à la tâche, découvrent un milieu où ils n’avaient encore jamais mis les pieds, pour la plupart, dans un contexte extrêmement difficile !« Nous sommes tous un maillon de la chaîne. Chaque geste compte, tous les efforts sont importants. »Cynthia Yenikomshian, infirmière
Cynthia est infirmière depuis 15 ans à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé. Elle a travaillé à l’équipe volante et au débordement de l’Urgence – où elle a d’ailleurs rencontré son mari, Jean-Sébastien Deslongchamps, qui est préposé pour sa part depuis 17 ans. Dès le début de la crise, Jean-Sébastien et elle ont décidé de « placer» volontairement leurs trois filles, pour ne pas les contaminer car ils savaient bien que les semaines seraient chargées pour eux. Et ils n’avaient pas tort!Une intervention différente
Cynthia me raconte que la façon d’interagir avec les patients est bien différente depuis la pandémie. « Par exemple, l’autre jour une dame est arrivée, très mal en point. Quelques minutes plus tard, elle est tombée en arrêt cardiaque. Normalement, on se serait tous précipités vers elle pour débuter les manœuvres, mais en période de COVID-19, il faut se protéger: on se vêtit, on s’équipe puis on intervient…»Sans compter le contact avec les patients atteints, qui est restreint au minimum, alors que ceux-sont sont confinés sur des civières entourés de pellicule plastique, à pression négative.«On a installé des moniteurs, comme pour les bébés, et on essaie de leur parler ainsi pour ne pas avoir à entrer trop souvent dans l’espace où ils se trouvent… c’est très triste!»Ça va bien aller
Bien qu’elle ait pu voir l’impact positif du confinement sur l’évolution de la pandémie, Cynthia a quand même hâte au déconfinement graduel. Elle a surtout hâte de revoir ses filles, en vrai et non à travers un écran! On sent aussi que c’est la solidarité et la force de son équipe qui la tient :« Honnêtement, si on n’était pas aussi soudés et aussi solidaires, je ne crois pas que j’y arriverais. Mais ce défi, on le vit ensemble, et ça fait toute la différence ! Il y a aussi tous les petits gestes de la communauté qui nous font du bien: le café Tim Hortons, les repas offerts, la haie d’honneur des policiers… Il faut juste ne pas lâcher ! »