Je suis comme bien des Québécois: hyper-sensible au sort des animaux, remuée par ces images de braconnage, de chiens et de chats abandonnés à leur sort, de photographes instagrameux fiers de leur trophée de chasse en Afrique. Sous le choc dès que je croise un raton écrasé au bord de la route, désespérée par tant de misère animale sur cette planète.

Comme plusieurs, je détourne souvent le regard, incapable de tolérer les preuves, bien étalées dans les médias, de notre cruauté et de notre inconscience. Mais certains, plutôt que de détourner le regard, ont décidé d’agir et de se dévouer, corps et âmes, pour ces éclopés à quatre pattes.

J’ai été témoin de cette dévotion, en février dernier. À la faveur d’une visite organisée au Centre Refuge Nymous par votre éditeur, Luigi Morabito, qui a aussi le bien-être animal à coeur. Je me rappelais de l’entrevue que son fondateur avait donnée à Denis Lévesque, en 2015, quand son raton de compagnie, Nymous, avait été confisqué par le ministère de la faune. Jacques Lessard était apparu complètement désemparé, un chagrin qui faisait peine à voir. Après une campagne intensive, le ministère avait finalement délivré un permis spécial et Nymous était revenu chez lui. Pour s’éteindre quelques mois plus tard, non sans semer dans l’esprit de ses maîtres le germe d’un projet réparateur: le centre devait prendre de l’expansion et ouvrir ses portes aux autres espèces en péril.

C’est donc ce même Jacques que j’ai retrouvé à Ste-Béatrix, en bien meilleure forme! Le refuge qu’il a mis sur pied avec Rachel Ouve est devenu un sanctuaire pour animaux sauvages blessés, abandonnés ou trop imprégnés à l’humain. Une mission d’observation, d’éducation et de réhabilitation, pour des dizaines de bêtes dont personne ne veut ou sauvées du mauvais sort, que Rachel et Jacques prennent très au sérieux.

Vous devriez voir les lieux! Leur résidence est devenue, au fil du temps et des adoptions, le royaume incontesté des bêtes: organisée en fonction des besoins de tous ces pensionnaires adorés. Dans le salon condamné, devenu un terrain de jeux, des ratons dodus partout, tous baptisés, dont ils connaissent les habitudes, les travers, les forces et les faiblesses. Ici, Miracle, née à St-Hilaire. Là, Lucio, aveugle, qui a échappé à la noyade, qui a un 6e sens pour les décès qui approchent et Lucas, le négociateur qui résout les conflits.

Dans le dernier tiroir d’un meuble, une amitié improbable: Martha le raton et Ioan la marmotte, bien collés, font un roupillon. Dans la chambre, un nouveau venu dans sa cage: un opossum. Mais quelle ménagerie inouïe!! Vraiment touchant !

Dans la cuisine, c’est l’heure des gâteries: on prépare d’énormes platées de moules pour les ratons, qui en raffolent. C’est qu’elles sont traitées aux petits oignons, ces petites fripouilles! $18,000 de nourriture par année, c’est le montant de la facture qu’il faut assumer!

Il règne ici une atmosphère d’entraide assez unique. Les fondateurs ont attiré plusieurs bénévoles et amis des bêtes dévoués. Comme Kim Bruneau, généreuse artiste, femme d’affaires et philanthrope, qui a entrepris de rénover les lieux et qui a organisé une soirée-bénéfice, fin mars, au profit de trois organismes, dont le Centre Nymous. Comme Luigi, qui est tombé en amour avec cette mission et m’a demandé d’aller faire un peu de bénévolat photographique. C’est l’essence même d’un art photographique engagé: on « prend » en photo, et on redonne au genre animal qui nous offre tant de beauté à capter. Bref, un beau tourbillon de solidarité autour de ces deux passionnés.

Parce que les besoins sont nombreux: il faut une pouponnière pour les bébés, une annexe en lieu et place du garage pour les nouveaux venus en quarantaine, enclos pour ours, cervidés et animaux non-réhabilitables, et quoi encore.

Des enclos qui s’ajouteront à ceux que Jacques a bâtis, de ses blanches mains, à l’extérieur. On y trouve quatre renards argentés, sauvés d’une usine de fourrure de la Beauce. Coyo, le coyote, rescapé d’un accident d’auto, qui a subi une chirurgie orthopédique pour sauver sa patte. Plusieurs ratons prêts à retourner à la nature, que Jacques regarde avec une émotion à peine contenue, à la seule pensée du jour J. Il y aussi Gaby la moufette et la star des stars, Chenoa, la magnifique louve grise, arrivée toute jeune au refuge, qui fait la fierté de ses « parents ». Vous avez déjà joué avec un loup? C’est ce que fait le couple, comme s’il s’agissait d’un chien enjoué. Ils ont une connexion étonnante avec cette bête qui hurle, littéralement, de joie en les voyant approcher! Des occasions de photo absolument magnifiques!

D’ailleurs, en passant, cette photo en close-up de Chenoa est mon record de vues sur le site FLICKR. Près de 120,000 personnes l’ont admirée, cette louve au regard de vieille sage. À croire qu’elle porte sur son visage tous les espoirs et tout l’amour de Rachel et Jacques pour les sans-voix.

À vous deux, du fond du coeur, merci pour eux!